Un chant dans la nuit (Medrahsk)

Un lâche. Il n’était rien d’autre qu’un lâche. Et c’était la seule raison qui devait lui valoir la vie. Maintenant que la guerre était commencée, il aurait dû se rebeller. Il aurait dû prendre parti, s’attaquer à Pandore. Il n’en avait rien fait. Il s’était éloigné. Enfin, pour l’instant. Sûrement y retournerait-il. Mais il avait si peur. Si Pandore le voyait, aidant ses adversaires, elle le tuerait. Au moins maintenant il ne faisait de mal à personne. En fait, elle devait s’être habituée à ses nombreuses fugues, et présentement ce devait être le cadet de ses soucis. Un lâche. Il avait envie de mourir. Il avait trahi la vie. Il avait trahi la mort. Il ne valait rien, il n’avait plus rien. Non, faut, il avait encore une chose. Une seule : Maeya. Et encore… il n’osait pas l’approcher. Et au palais… il n’avait même pas su lui dire qu’il était son frère. Il s’en était allé. Il avait été idiot. Maintenant, elle savait qu’il existait, même si elle ne savait pas qui il était, ou le lien les unissant. Et elle devait le détester. Il ne pouvait plus rien pour elle. Il devait passer par des intermédiaires. Il avait déjà Urion sur le coup. Et Snownight. Non, décidément, il était la pire chose à exister. Existait-il seulement?

Ses oreilles captèrent un son. Une mélodie. Une chanson… Maeya chantait… Elle aimait même cela. Medrahsk l’avait écoutée une fois ou deux, quand il en avait l’occasion. Ce n’était pas la voie de Maeya. Pourtant, une détresse semblable en découlait. Semblable, mais pas identique. Puis la voix se tut. Le jeune mort se rendit alors compte qu’il marchait en direction de sa provenance. Avec les sens du vent, la louve qui chantait ne devait pas l’avoir senti encore. Avec de la chance… Mais le vent tourna. Trop tard… Bon, après tout, il n’avait jamais fait de mal à personne. Il ne voulait pas s’impliquer dans la guerre, et personne ne l’avait jamais craint. Il ne faisait pas du tout peur. Étrangement, il avait envie de répondre au chant. Savait-il chanter? Probablement pas. Maeya chantait depuis qu’elle était petite, elle avait de l’expérience, lui ne l’avait jamais fait.

Il ne pressa pas le pas. Il voulait laisser le temps d’être aperçu. Il ne voulait pas surprendre. Dire qu’avant, il essayait d’être invisible. Maintenant, de toute façon, il n’avait plus besoin d’essayer, il réussissait bien. Et puis, la louve le sentait-elle? Pouvait-il être réellement indétectable? Avait-il réellement cessé d’exister? Non. Il ne pourrait pas penser sinon! Quelque chose entra dans son champ de vision. À cause du noir, il ne voyait pas bien. Mais ce n’était pas une louve, c’était trop petit. Une renarde. C’était pire? En fait, pourquoi cela serait-il pire? Non, c’était normal. Une autre âme vivante qui aurait pitié de lui, le trouverait mignon, essaierait de le consoler, et de laquelle il se séparerait après pour ne jamais la revoir. Tout était normal.

À l’exception d’une chose : en la voyant, il se mit à chanter. C’était monté en lui, instinctif. Il ne pensait même pas aux paroles, elles sortaient seules.

« Nous sommes tous étrangers au monde que nous voyons
Chacun de nous est une âme errante
Mais d’un jeu de masque habilement nous cachons
Les malédictions des âmes clémentes.

Je suis un fantôme, même parmi les morts
Je ne suis pas des leurs, sans être vivant
J’erre sans but, car je n’ai pas de port
À jamais sur un bateau naviguant.

Je n’ai aucun lieu pour être ma maison
Je n’ai personne pour partager mes peines
J’ai marché seul à travers les saisons
Condamnant à mort ceux qui voyaient mes peines.

Cela ne m’a pas empêché d’avoir des amis
De trouver des gens qui en valaient le prix
Qui se sont sacrifié et ont survécu
Et qu’on jour je pourrai leur redire salut.

Tout n’est qu’une question de foi et d’espoir
D’abord pour comprendre, il faut accepter de voir
Il y a toujours un chemin lumineux
Seulement, souvent, il nous sembla haineux.

Il faut apprendre à surmonter ses peurs
Mettre de côté, chaque chose que nous sommes
Repartie à zéro et y mettre de l’ardeur
Entouré des personnes qui de l’amour nous donnent. »

Il se sentait maintenant si mal. Pour elle, pour lui. Ils vivaient une situation si semblable, et si différente… Maeya l’avait vécue, elle s’en était sortie. Pendant un instant, Medrahsk s’était senti vivant. C’était possible, il pouvait retrouver ce qu’il est, il suffisait de mettre Pandore hors d’état de nuire. Et même sans cela, s’il osait se rebeller pour de vrai, il pouvait avoir une vie. Rien ne pouvait nous contraindre à la peine et la solitude. Elle était inévitable, oui, c’était vrai. Mais en acceptant la peine, on apprenait à voir le bonheur. Et à le vivre. Cette renarde avait besoin de quelqu’un pour l’épauler sur cette voix. Elle n’avait simplement pas trouvé encore la bonne personne. Medrahsk pleurait d’avance de ne pas être cette personne. Car il ne le pouvait pas. Car il avait lui-même besoin d’une telle personne…

Sinon, il trouvait que sa voix n’était pas si mal. En fait, il avait pensé que le fait d’être mort aurait pu influencer. Mais elle avait été ni grave, ni aigue, claire, fluide, ni rauque ni enrouée. Il ne pensait pas avoir faussé, même s’il avait sans doute modifié un peu l’air chanté par la renarde. Il s’assit et attendit. Maintenant, ne restait qu’à espérer qu’elle ne s’enfuirait pas…

Medrahsk regardait les cristaux. Rouges comme le sang. Ils étaient… beaux… mais ils n’inspiraient pas du tout la confiance. Qu’était cette renarde? D’où venait cet étrange phénomène? Était-ce son pouvoir qui les créait? Que pouvaient faire ces cristaux? Les avait-elle créés volontairement? À quel clan appartenait-elle? Sa fourrure était noire. Était-ce une alliée de Pandore? Si oui, que faisait-elle là? Était-elle comme lui? Était-elle envoyée pour le châtier de quelque chose qu’il aurait faite? Pandore savait que Maeya chantait. Elle savait que d’entendre une chanson l’inciterait à s’approcher. Mais… Non… sa réaction… elle avait peur. Elle avait peur de lui. Quel allié de Pandore aurait peur du plus pathétique de ses sbires? Elle n’était pas morte. Elle n’avait pas l’odeur des morts. Donc, cela pouvait justifier la peur qu’elle ressentait. Lui il l’était. Elle devait le savoir. Ça se voyait de toute façon. En même temps, jamais personne n’avait eu peur de lui. Sa démarche mal assurée… ses oreilles constamment rabaissées sur son crâne, ses yeux presque implorants de ne pas lui faire de mal. Pouvait-il avoir changé tant que ça?

Et pourquoi donnait-elle cette impression d’insécurité? Son pouvoir ne pouvait donc pas la protéger? Alors, les cristaux ne faisaient rien? Il ne faisait qu’apparaître? Pourquoi avaient-ils l’air si inquiétant? Était-ce là la façon dont ils la protégeaient? En faisant peur aux autres? Raté. Lui, il était mort. Pourquoi avoir peur? Étrangement, cette peur le sécurisait un peu. Pourquoi son attitude à lui ne la sécurisait pas? Parce qu’il n’avait plus peur… parce que sa peur à elle avait balayé la sienne. Il s’assit lui aussi, et plongea son regard dans le sien. Un regard doux, compatissant, plein d’une douleur qui ne le quitterait jamais. Trois couleurs… elle n’était pas normale. Il y avait quelque chose qui clochait, mais il ne pouvait dire quoi.

Pour être encore moins imposant, il se coucha sur le sol et, sans s’en rendre compte, sourit. Pas un sourire amusé. Un sourire plus… amical. Un sourire du genre : je te trouve mignonne petite, j’aime bien les enfants. Mais ce n’était pas une enfant… Et Medrahsk n’était pas un adulte. Pour cela son sourire s’évanoui rapidement. Il ne voulait pas l’insulter ou lui manquer de respect.

« Je suis vraiment désolé de vous avoir dérangé. Mon but n’était pas de vous effrayer, ni de vous perturber dans votre moment de solitude. Mais votre chanson a provoqué en moi un sentiment étrange, et je n’ai pu m’empêcher d’y répondre. Les mots sont sortis seuls de ma gorge… Peut-être pour vous réconforter, ou du moins essayer. Vous semblez si triste… je n’aime pas voir d’autres animaux tristes. »

Il posa sa tête sur ses pattes avant et rabaissa ses oreilles, d’un air suppliant.

« Je vous en prie, je ne vous veux aucun mal. Je crois simplement qu’il peut être agréable d’avoir une compagnie amicale, et vous me semblez gentille. Puis-je rester? »

Il avait vraiment envie de partager un peu avec quelqu’un, la solitude commençait à le faire souffrir. Il voulait aider la jeune renarde aussi. Il avait cru, toute sa vie, qu’il ne vivait pas pour de vrai. Et pourtant, Urion, Snownight, Andy, ils lui avaient montré le contraire. Il n’y avait jamais qu’une vérité, on ne pouvait jamais croire en un absolu. La souffrance existait, mais la refuser signifiait masquer ce qui pouvait ne pas l’être. Mais bon… pour l’instant, il n’était pas pour débattre avec lui-même. Il attendit donc la réaction de la renarde. Si elle le chassait, il s’en irait…

Medrahsk plongea son regard dans celui de la renarde. Elle ne parlait pas. Pourquoi? Elle semblait gênée. Était-ce seulement cela? Il lui offrit un sourire qu’il voulait rassurant. Il la sentait légèrement indisposée. Pourquoi cela? Ah oui, son odeur… étant mort, il n’avait pas la même odeur que les autres. Celui lui ferait-il peur de le savoir? En tous cas, pour l’instant, elle ne semblait pas le rejeter. Il ne voulait pas que ça change. Mais il ne pouvait pas mentir… Il devait dire la vérité.

« Je vous demande pardon pour cette odeur qui vous gêne, je ne l’ai pas adopté volontairement. Voyez-vous… je suis… mort… »

Le dernier mot était sorti dans un murmure. Il l’avait dit plusieurs fois, alors pourquoi cette hésitation cette fois-ci? La renarde semblait si fragile… il ne voulait pas la froisser. C’était pour cela, sans doute. Il voulut la rassurer, et se dépêcha d’ajouter :

« N’ayez pas peur je vous prie. Je n’approuve pas Pandore. Je me tiens le plus possible à l’écart de ses plans. D’où mes nombreuses cicatrices, elle aime bien me punir, et me faire punir par des loups ou des louves très doués pour cela… »

Swift, par exemple. Andy pardonnerait-il à Medrahsk, un jour, cette faiblesse dont il avait fait preuve et qui avait failli lui coûter la vie? Une larme coula le long de son museau. Non. C’était fini. Pandore était trop occupé avec la guerre. Il n’avait pas à s’en faire, alors.

Se ressaisissant, il sourit de nouveau à la renarde et lui donne un coup de langue sur le museau, pour lui montrer qu’il n’avait pas de mauvaises intentions. Sa langue entra en contact avec l’espèce de ruban rouge. C’était humide. Malheureusement, ne pouvant plus goûter, il ne pouvait pas savoir si c’était du sang ou des larmes. Mais il ne pensait pas que c’était des larmes. Son regard s’attrista. Que s’était-il passé? Qui avait pu lui faire ça? Était-ce Pandore? Il se retint de poser des questions. Le faire ne pourrait que l’effrayer davantage.

Cette peur… avait-elle eu peur à cause qu’il lui avait dit qu’il était mort? Trouvait-elle dégoûtant ce contact avec un loup qui ne possédait aucune étincelle de vie? Était-il si répugnant? Oui, sans doute… mais… alors, pourquoi aurait-elle été soulagé? C’était du soulagement qu’il voyait dans son expression, maintenant, il en était certain. Et elle regardait ses bandages curieusement. Qu’avaient-ils? Lentement, une certitude s’empara de Medrahsk. Elle n’avait jamais eu peur de lui. Elle avait peur d’elle. Ou plus précisément, elle avait peur de ces bandages. D’une façon ou d’une autre, ils devaient être vivants. Et c’était donc du sang de la renarde qu’ils étaient imbibés, ce qui expliquait leur couleur. Le soulagement venait du fait qu’ils n’avaient pas réagi au contact de sa langue.

Une vague de tristesse s’empara du jeune loup mort-vivant. Il avait toujours cru que sa vie était pénible, mais si cette renarde était vraiment condamnée à souffrir les affres d’un tissu magiquement animé, alors la sienne était encore pire! Il voulait tant l’aider… mais peu importe ce qu’il faisait, il ne pouvait prévoir les conséquences pour elle. Ainsi donc, rester avec elle n’était peut-être pas une bonne idée…

Il changea d’avis lorsqu’elle parla. Elle voulait qu’il reste. Et s’il avait vu juste et que ce qu’il croyait s’avéré exact, il valait mieux ne pas la contrarier. Aussi essaya-t-il de garder un regard compatissant, sans aucune autre trace d’émotion. En ressentait-il une autre, seulement? Puis elle parla à nouveau. Étrange? Avait-elle prit le temps de bien penser à ce que lui était? Un mort qui marche et qui parle, ce n’était pas étrange peut-être? Medrahsk se leva et s’approcha d’elle. Ce sourire… combien de fois l’avait-il lui-même arboré? Combien de fois avait-il réussit à survivre, grâce à ce sourire qui appelait la pitié? Aujourd’hui, il n’en avait plus de besoin. Grâce à des amis chers, tel qu’Urion, Snownight, et Andy. Et il voulait être aux yeux de cette renarde, le même genre d’amis.

Il s’arrêta à un pas d’elle, pour ne pas la brusquer, et afficha un sourire… paternel. Le même sourire qu’Urion lui avait fait… un sourire rassurant, un sourire qui donnait l’impression de ne pas être seul, de pouvoir compter sur quelqu’un.

« Vous êtes étrange, en effet. Mais ne le suis-je pas moi-même? Ne trouvez-vous pas qui si tous les loups et les renards étaient normaux, le monde serait sans intérêt? Encore une fois, je suis désolé si je vous ai fait peur, ou si je vous ai brusquée, là n’était pas mon intention. Je crois seulement que chaque animal à droit d’avoir une personne à qui il peut se confier, et en vous regardant, je me dis que vous avez besoin d’un tel ami. Loin de moi l’idée de vous imposer quoi que ce soit, mais j’aimerais être cet ami. Trop de loups m’ont fait ce sacrifice, je veux à mon tour me sacrifier pour quelqu’un. Pour que ma vie serve au moins à quelque chose. »

Un léger rire s’échappa de sa gueule alors qu’il réalisait ce qu’il venait de dire. Sa vie… il n’en avait même pas!

« Pardonnez-moi. C’est que je réalise la stupidité de mes dires. Je n’ai pas de vie… je me reprends donc : pour que mon existence serve au moins à quelque chose. Vous savez… vous me semblez gentille, et j’aimerais pouvoir vous aider, car la tristesse ne fait que du tort, à tous ceux qu’elle entoure. Mais assez parlé… je ne vais pas vous raconter ma vie… sauf si vous le désirez bien sûr. Mais que peut avoir d’intéressant la vie d’un mort? »

Il se coucha de nouveau. Il avait beaucoup parlé… en fait, l’aura de cette renarde lui rappelait tellement son passé… il n’avait pas pu s’en empêcher. Il se souvenait que lui, ça lui avait fait tellement de bien d’entendre ainsi une vois amicale… Mais il se souvenait aussi que ce qui lui avait fait le plus de bien, c’était de parler. Aussi voulait-il laissé à la renarde le soin de pouvoir le faire. Mais avant, il restait un détail à régler.

« Simple information de passage : je suis Medrahsk, l’Oméga du clan de la mort, souffre-douleur préféré de la grande Pandore elle-même, l’un des pires monstres à avoir foulé cette terre et meurtrier involontaire de second degré qui n’a plus besoin de faire ses preuves. Mais vous pouvez m’appeler Med. »

Pourquoi avoir donné tant d’information sur lui? Car il voulait qu’elle sache qui il était, pour pouvoir décider de si elle voulait vraiment lui parler ou pas. Si elle voulait s’enfuir, il ne voulait pas la retenir.

Medrahsk écouta attentivement ce qu’elle disait. Puis il baissa ses yeux vers le sol, pour regarder une larme s’écraser à ses pattes. Elle avait raison. Sa vie à lui semblait enviable, comparée à la sienne. Mais ça ne voulait pas dire qu’elle ne méritait pas d’être aidée. Et il voulait faire quelque chose. Soudainement, il eut l’impression d’être Urion et de se regarder lui-même. Oui, c’était comme cela que ça s’était passé. Il avait refusé lui aussi l’aide qu’on lui proposait. Et lentement, il s’était rendu à l’évidence qu’il en avait besoin.

« Pardonnez-moi, Sorrow… Vous avez sans doute raison. Je possède plus de vie que vous ne semblez en dégager. Cela vous enlève-t-il le droit de l’apprécier? Je vous en prie, ne faites pas cette erreur. Vous dîtes avoir été condamné au mutisme et à la solitude. Je n’y comprends pas grand-chose. Normalement, dites-vous, vous ne pouvez parler à un être vivant. Mais vous semblez pouvoir m’adresser la parole. Pourquoi alors ne pas en profiter? Ce que vous avez fait dans le passé semble cruel, et peut-être avez-vous été condamné à juste titre. Mais regardez-vous un peu. Vous fuyez les autres de peur de les blesser. Vous vous inquiétez bien plus de ce que moi, dont mon corps est mort, et qui ne peut pas mourir sauf si Pandore le décide, je peux subir en votre compagnie que de ce que vous vous infligeriez en vous en allant sans m’adresser le moindre mot. Vous croyez ne pas mériter un confident, mais est-ce ici une question de mérite? Vous pouvez me parlez. Vous avez besoin de me parler, cela paraît dans votre ton. Vous avez peur de le faire, car vous ne connaissez pas les émotions que cela pourrait vous faire ressentir. J’étais ainsi il y a peu de temps… Je le suis encore un peu. Mais dîtes-vous que je suis conscient de ce que je fais et que j’en accepte les conséquences. Vous avez le droit d’avoir un être à qui vous pouvez dire ce que vous ressentez, qui peut vous épauler. Si ce droit vous avait été retiré, je ne serais pas en train de vous parler. »

Le jeune loup fit une pause. Combien de fois lui avait-on dit ces mots? Combien de fois l’avait-on détrompé lorsqu’il affirmait ne pouvait créer que des problèmes?

« Je veux vous aider. Je ne vous obligerai pas à accepter. Mais demandez-vous : votre cœur veut-il de mon aide ou non? Si oui, je vous déconseille de lui désobéir. Si vous le désirez, je m’en irai. Libre à vous de me chasser n’importe quand. Mais si vous n’essayez jamais, vous ne pourrez jamais savoir si oui ou non vous avez accès à une certaine forme de pardon. J’aimerais pouvoir vous décrire ce que mon cœur ressent en vous regardant. La détresse qui m’accable de ne pas pouvoir faire quelque chose pour vous. »

Le jeune loup resta couché sur le sol, regardant la renarde avec toute la compassion qu’il pouvait afficher. À cet instant, il maudissait cette lueur de souffrance et de désespoir qui ne quittait jamais son regard vide de mort.

Malgré ce que pouvait affirmer la renarde, Medrahsk ne pouvait que la comprendre. Combien de fois avait-il demandé à ceux qu’il croisait de ne pas rester avec lui? Combien de fois leur avait-il dit qu’il serait obligé de les tuer? Autant de fois qu’on lui avait ri au nez. Qu’on lui avait dit qu’il était ridicule de croire de telles choses, qu’il ne pourrait jamais faire de mal à quelqu’un s’il ne le désirait pas. Oui, bon, en même temps, il était faible. Sorrow, elle, ne semblait pas faible… Mais quand même… Andy avait été torturé pour lui, et il ne s’en était pas plein. La situation n’était peut-être pas vraiment la même, puisqu’Andy et Medrahsk étaient amoureux, mais… de même, le loup n’hésiterait pas à souffrir si cela pouvait aider la renarde. Personne ne mérite la cruauté, même l’être qui s’en sert le plus. Aussi le jeune mort-vivant se releva et s’approcha de Sorrow, pour s’assoir devant elle, assez près pour la toucher du bout du museau en tendant un peu le cou.

« Si jamais je sens une menace, je vous promet de ne pas me mettre en danger inutilement. Mais je ne puis me résoudre à vous laisser comme cela. Peut-être vous en voudriez-vous de me faire du mal, autant que moi je pourrais m’en vouloir d’en faire aux autres, mais je ne crois pas que vous vous en voudriez plus que moi je m’en voudrais de ne pas au moins essayer autant que je le peux de vous aider. Pour l’instant, tout ce que je vous propose, c’est de parler. Je ne vois pas en quoi cela est un danger. Cette « chose » dont vous parlez ne me détecte pas, selon vos dires. Et je crois que cela restera pareil tant que mon cœur ne battra pas. Et croyez-moi, il y a très peu de chance que cela n’arrive. »

Il arrêta de parler pour regarder Sorrow. Il ne voulait pas la brusquer. Ce qu’il voulait, c’était qu’elle puisse avoir un répit. Car il savait que cela ne pourrait que lui faire du bien, en final. Il n’avait pas vraiment d’idée de quoi parler, et ce n’était pas à lui de choisir la discussion. Elle avait besoin de parler, de s’exprimer. Lui, il devait écouter. Aussi attendrait-il qu’elle ne fasse les premiers pas.

Medrahsk écouta Sorrow parler, et lorsqu’elle prit une pause, il attendit qu’elle ne veuille de nouveau prendre la parole. Il n’était pas pressé, et il ne souhaitait pas lancer un sujet qui puisse faire de la peine à la renarde. De toute façon, discuter n’était pas son point fort. Lorsqu’il entendit la question, toutefois, une lueur de désolation traversa son regard, alors qu’un sourire triste étirait les coins de sa gueule.

« Je vous demande sincèrement de m’accorder votre pardon, mais je ne puis vous aider sur ce point. Toute ma vie je n’ai fait que deux chose : errer sans but et sans poser mon regard sur ce qui m’entoure ; suivre de force le lien qui m’unit à Pandore pour retrouver son territoire et m’y faire torturer. Je ne connais rien à la configuration des lieux et ne puis vraiment vous la présenter. Voyez-vous… je n’ai jamais eu à me préoccuper du danger, puisque le seul danger que j’aie connu, c’est Pandore elle-même. Rien d’autre ne pouvait réellement me faire du mal, puis que je suis déjà mort… »

Le jeune loup retint une larme. Il était triste pour la renarde. Il était triste de ne pas pouvoir l’aider. Et il s’en voulait un peu de lui avoir caché quelque chose. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait le sentiment qu’il ne devait pas lui parler de Maeya. Bien sûr, Maeya avait été une partie importante de sa vie, et il avait toujours su où la trouver. Mais ça avait toujours été instinctif. Lorsqu’il voulait la voir, ce qui était très rare, il savait dans quelle direction aller. Il ne faisait donc pas plus attention au paysage qui l’entourait. Les seules fois où il avait réellement regardé où il mettait les pieds, c’était lorsqu’il avait rencontré d’autres animaux. Ce qui finissait toujours par de nouveaux amis… Enfin, ami était n’était peut-être par toujours le terme le plus approprié, mais jamais il ne s’était fait d’ennemis non plus. Pourquoi cela? Parce qu’il était l’Oméga du clan de la mort? Pourtant, les Omégas n’étaient-il pas tous traité comme des faiblards par les autres? Il n’y connaissait rien aux clans, mais il avait pourtant l’impression que les choses fonctionnaient ainsi. Enfin, peu importait… ce qui était vraiment important, c’était que Sorrow avait besoin d’aide, et qu’il se sentait mal de ne pas pouvoir la lui apporter.

« Pour le sujet de conversation, il n’est en rien obligé d’être joyeux, vous savez… Dire ce que l’on a sur le cœur fait toujours du bien, et ceux qui veulent vraiment nous aider doivent accepter que nous ne soyons pas toujours heureux. Je vous en prie, dîtes ce que vous sentez le besoin de dire. Je suis certain que cela ne peut que vous aider à vous sentir mieux. »

Medrahsk regarda le sol. Il s’en voulait… il était le seul à qui Sorrow semblait pouvoir adresser vraiment la parole, et il ne pouvait même pas l’aider parce qu’il avait passé sa vie dans ses pensées… Sa vie… son semblant de vie… il releva le regard… et su tout de suite que quelque chose n’allait pas. La petite renarde tomba sur le sol et commença à gémir de douleur. Était-ce cette chose dont elle avait parlée? Est-ce que… cette chose maléfique la torturait? Pourtant, elle n’avait pas remarqué le jeune loup jusqu’à maintenant… Mais il n’avait jamais été exclu qu’elle ne le remarque jamais. Que devait-il faire? Sorrow lui avait dit de se tenir loin de lui si quelque chose arrivait. De s’enfuir. De se sauver la vie… la vie… Medrahsk ne pouvait tout simplement pas mourir! Pourquoi s’en soucier alors? Seul Pandore pouvait lui faire du mal. Mais en même temps… si c’était sa présence qui blessait la renarde, pouvait-il se permettre de rester près d’elle. Il regarda le cercle rouge. Elle avait dit que la chose n’aurait pas dû le laisser la toucher… si cette chose l’avait vraiment détecté, elle essaierait de lui faire du mal s’il s’approchait de sa « protégée ». Medrahsk s’approcha de Sorrow et frotta légèrement son museau contre sa joue. Il ne voulait pas l’abandonner, et il avait envie de lui dire qu’il était là et qu’il ferait tout pour l’aider, mais il savait que dans cet état elle ne l’entendrait pas… et puis il ne savait pas du tout quoi faire pour l’aider. Il ferma les yeux. Pourquoi son pouvoir ne lui prédisait pas la mort de la renarde? Il ne pouvait pas la sauver, de toute façon… Il se maudit intérieurement. Son pouvoir voyait la mort des loups, pas des renards, ni des chiens, ni des coyotes…