Moi qui comptait lézarder au soleil...[PV Pheonix]

Le vent dans ses ailes, le soleil sur sa fourrure, c’était si bien! Décidément, voler, il ne s’en lasserait jamais! Depuis le début des préparatifs, son travail avait grandement diminué, il possédait plus de temps libre, et ne savait pas vraiment quoi en faire. Aussi passait-il son temps dans les airs, ou avec les louveteaux. C’était justement eux qu’il allait voir. Il se posa donc habilement aux portes du château et entra. Il aura pu prendre un chemin direct pour se rendre chez les nourrices, mais il décida de passer par les jardins. Ils étaient si beaux, et le soleil devait donner une ambiance si sereine à l’endroit. Peut-être croiserait-il d’autres loups? Des renards? Il avait envie de voir des gens, pour une fois. Il ne se sentait pas seul, mais discuter pouvait être agréable. Discuter avec Seth avait été agréable… même s’il était du clan de la mort. Depuis cette rencontre, Pheonix avait envie de voir d’autres loups… il en avait assez de la solitude. Et son vœu fut exhaussé. Devant lui, au milieu d’un carré d’herbe, dans le jardin, se trouvait un être vivant. Une louve du clan, à son odeur. Une noble, assurément, à son allure bien entretenue.

Les nobles… toujours bien peignés, toujours beaux, toujours parfaits… il ne les aimait pas. Et il n’y avait pas que cela : les nobles le connaissaient. S’il disait à cette louve qu’il s’appelait Snow, elle ne le croirait pas, car tous les nobles du clan savaient qu’il était Pheonix, le petit rebelle. Étrangement, il ne la connaissait pas, elle. Elle ne devait pas s’afficher réellement en public. Était-elle comme lui? Peut-être…

« Bonjour! »

Cette voix, si légère… si joyeuse… Si peu noble… elle semblait sincère. Son sourire aussi, ne semblait pas vraiment forcé, comme le sourire typique de la noblesse, qui dit : oui, bien sûr que je t’écoute, mais c’est pour tout retourner contre toi après. Pheonix se sentit intrigué. Qui était-elle donc? Il s’approcha un peu, mais pas trop près, pour ne pas envahir son espace.

- Bonjour à vous. Les jardins sont magnifiques, n’est-ce pas? Et confortable…

Sa gueule s’étira en un sourire, seule, sans qu’il ne le veuille, sans même qu’il ne s’en rende compte. Il la trouvait joli, il aimait bien le son de sa voix. Cette discussion serait assurément plus intéressante que les discussion habituelles avec les autres nobles.

Pheonix ferma les yeux en entendant le rire de la louve. Il était si joli, si mélodieux… il le grava dans son esprit. Puis il se reprit : venait-il de trouver un noble agréable? En même temps, elle ne donnait pas tant l’allure de l’être. Peut-être était-ce dû au fait qu’il ne la connaissait pas. Et puis, si lui était rebelle, rien n’empêchait une autre de l’être aussi. Il l’écouta se présenter en s’assoyant sur l’herbe, fixant son regard sur son visage, au début, mais ne pouvant s’empêcher de le laisser parcourir son corps, à la fourrure si jolie… aux formes si gracieuses… à tous ses moindres petits détails qui semblaient s’harmoniser. Le genre de perfection qui lui donnait, normalement, envie de vomir. Étrangement, ce qu’il trouvait parfait, dans cette allure, c’était justement ce manque de perfection volontaire, qui laissait place à une beauté sauvage, si charmante…

- Elda… C’est bien plus simple à retenir, en effet. C’est tout de même très joli, je trouve que cela vous représente bien. Compliquée à saisir, vous vous donnez un air plus simple, qui vous crée un charme doux et attirant, et qui révèle, plus profondément, mystères complexes et insaisissables, qui sont prêts à s’affirmer. Tout comme Elda laisse à tout moment présumer la présence de votre nom complet, sans le révéler ou indiquer comment le comprendre.

Sa propre tirade le surpris. Il n’avait pas prévu dire ça, et avait un peu improvisé. En réalité, c’était totalement ce qu’il pensait, il n’y avait aucun doute à porter là-dessus, mais c’était la première fois qu’il mettait ainsi à nu ses pensées sans s’en rendre compte, ou sans l’avoir planifié pour en tirer un effet spécifique. Il avait parlé, tout simplement.

- Veuillez me pardonner ce monologue étrange, et n’en tenez pas compte je vous prie… je n’avais pas l’intention de vous dire tout cela et ne voudrais pas que vous l’interprétiez mal…

Pourquoi avait-il dit cela? Comment pouvait-elle mal l’interpréter? Elle était noble, après tout, donc intelligente…

- Mon nom à moi est…

Il hésita, devait-il lui dire son vrai nom? Son nom d’emprunt? Qui était-il réellement?

- Mon nom à moi est Snow…

Pheonix s’en voulu de ne pas avoir donné son vrai nom. Bien sûr, qu’elle ne le connaissait pas, il lui avait menti. Mais était-ce vraiment un mensonge? Un fragment de mémoire lui revint. Celui de son ami l’Oméga, qui lui disait : Maintenant, tu es Snow. Oui, Snow était son vrai nom, il avait été rebaptisé. Donc, il n’avait pas menti. Mais il avait quand même jamais réellement révélé qu’il avait changé de nom, et tous ceux de son clan le connaissait comme étant Pheonix Clairciel. À cette pensée, il baissa le regard vers le bracelet frappé de son blason familial, dont il ne se séparait pas, plus pour éviter la charge de travail que d’être reconnu. Il préférait sa façon à lui de travailler. Et c’est en retenant un air de dégoût qu’il détourna le regard de l’objet. Oui, il le détestait, même s’il s’en servait. Aussi, donc, reposa-t-il son regard sur la louve. Sur cette louve si magnifique, dont il avait envie de s’approcher… mais il ne le fit pas.

- Cela ne me dérange pas du tout. Vous pouvez m’adresser la parole de la façon que vous préférez, tant que cela ne m’insulte pas. Je ne crois pas que le tutoiement soit une insulte, car cela montre, au contraire, votre désir de pouvoir me considérer comme votre ami. Aussi, étant de mon côté incertain de ce que je pense réellement de vous, je ne me permettrai pas de vous rendre la pareille, pour l’instant. J’espère que cela ne vous dérange pas…

Encore une fois, il en avait dit plus qu’il ne l’avait voulu. Elda exerçait sur lui une sorte d’attirance qui le forçait à mettre à nu son esprit. Étrangement, il ne détestait pas cela. Au contraire, il adorait! Enfin quelqu’un qu’il ne puisse pas contrôler! Enfin quelqu’un qui ne saurait se laisser piéger dans ses réflexes de noblesse qu’il avait adoptés pour que personne ne puisse jamais le cerner. Enfin quelqu’un qui pourrait le connaître, le comprendre, réellement. Comme son ami Oméga plusieurs années plus tôt. Un sourire sincère lui vint. Oui, il avait envie de continuer à discuter, de continuer à se livrer, de pouvoir être lui, enfin, et que quelqu’un sache qui il était réellement.

Pheonix perdit son sourire en entendant le soupir. Qu’avait-il donc dit? Il avait sans doute été trop sincère, et l’avait choquée. En même temps… elle avait pris un moment de réflexion avant de soupirer. Sur quoi ses pensées pouvaient bien avoir déraillés? Non, cela ne le concernait pas. Ce qu’il devait savoir, c’était juste s’il était la cause de se soupir.

- Veuillez me pardonner, Elda… peut-être ai-je été trop franc avec vous. Écoutez, quand je dis que je ne sais pas quoi penser, cela veut ne veut pas dire que je vous déteste. Bien sûr que je déteste la noblesse, mais étrangement, vous, j’ai envie de vous connaître. Seulement, je crois que nous ne nous connaissons pas assez pour que je puisse me permettre de vous tutoyer. Mais comprenez-moi, je trouve votre compagnie agréable, et même je vous trouve très jolie à regarder.

Son cœur se serra et il se mordit la lèvre inférieure. Venait-il réellement de lui dire cela? Décidément, cette rencontré était des plus intéressantes. Si la louve arrivait à lui faire perdre ses moyens à ce point, elle devait être très exceptionnelle. Ou était-ce son pouvoir?

- Et puis… votre odeur… elle est si pure, comme l’odeur des feuilles au vent. Légère, presque imperceptible, mais délicieuse et apaisante…

Il devait se ressaisir! Tout de même, ce n’était pas un langage à tenir en compagnie d’une noble! En même temps… il ne le regrettait pas. Il ne ressentait aucun besoin de voiler quoi que ce soit à la louve.

Pheonix allait dire quelque chose de plus, mais il n’en eut pas l’occasion, coupé par la voix si mélodieuse et douce à ses oreilles de la louve. Aussi oublia-t-il instantanément ce qu’il avait eu l’intention de dire, et se concentra-t-il sur les paroles qu’elle prononçait. Donc, Elda aussi n’aimait pas la noblesse? C’était donc réellement pour cela qu’il ne l’avait jamais vue et qu’elle lui semblait si attirante. Au fond, elle lui ressemblait un peu. C’était toutefois vrai qu’avec la guerre, les choses se compliquaient. Lui-même ne savait pas trop où se trouver et qu’y faire. Pouvait-il vraiment se permettre de charmer Elda alors que la guerre s’annonçait? Enfin… charmer… non, il ne voulait pas dire qu’il désirait l’avoir sous son contrôle! Au contraire! Il avait envie de se soumettre à elle! Envie étrange, d’ailleurs, qui lui venait de… il ne savait pas trop d’où ça venait en fait. De son cœur? Probablement, car s’il y avait une chose qui distinguait le loup ailé des autres nobles, c’était bien qu’il ait un cœur! Enfin… les autres nobles, sauf Elda!

Son oreille battit l’air d’un frisson qu’il ne réussit pas à contrôler. Elle avait dit que son odeur était agréable? Elle lui avait renvoyé le compliment? Par simple politesse? Non, elle était sincère… Lentement, Pheonix fit un pas, puis un autre, mais s’immobilisa. Il avait envie de s’approcher d’elle, de se coller contre elle, de l’entourer de ses ailes douces, pour qu’elle soit plus confortable, mais pouvait-il se le permettre? Figé comme un parfait idiot devant la belle louve blanche, il garda son regard rivé dans le sien. Ses yeux étaient si beaux… si fascinants… étrange, oui, mais magnifiques, originaux. Oui, il n’avait pas des yeux aussi beaux que ça… Ses yeux étaient normaux… Et sa voix n’était pas tant mélodieuse. Elle était un peu rauque. Et pourtant, il semblait lui plaire…

- Cela vous dérangerait-il que je ne vienne m’assoir à côté de vous…?

Lorsqu’elle Elda rit, le cœur de Pheonix se serra. Elle lui avait donc renvoyé le compliment par politesse, et se moquait de sa naïveté… Il avait cru qu’elle ressentait quelque chose pour lui, mais avait fait fausse route… Elle le prenait pour un gamin… Et pourtant son rire était si… magnifique… cristallin… il résonnait à ses oreilles comme la mélodie harmonieuse du vent, tout en lui brisant le cœur… Puis elle détourna le regard. Voilà, elle le chassait. C’était trop, elle ne pouvait plus supporter sa présence. Il leva une patte avec l’intention de partir, mais les yeux de la noble louve se plongèrent à nouveau dans le regard du loup ailé, qui avait de la difficulté à empêcher ses émotions de brouiller sa vue.

Se promener? Instantanément, ce fut comme s’il n’avait jamais ressenti de peine. Non elle ne s’était pas moquée de lui, elle l’avait trouvé mignon! Et elle voulait marcher avec lui. Il lui sourit et s’avança jusqu’à ce que leurs museaux se touchent légèrement.

- J’accepte de marcher avec vous, si vous me laissez marcher à côté de vous.

Avant d’avoir eu une réponse, il poussa doucement sur la joue de la louve avec son museau, pour la faire se retourner, et passa une aile par-dessus ses épaules. Puis, lui donnant un petit coup de langue timide sur le côté du museau, il commença à marcher lentement. Son cœur battait si vite… si fort… sa respiration devenait irrégulière… il ne pouvait plus s’empêche de regarder le doux visage d’Elda, et il sentait ses muscles frissonner à chaque pas, alors que la sensation des muscles de la louve, jouant sous sa fourrure si douce et si chaude, lui parvenait.

- Votre présence est si agréable… Et… et… vous êtes… si douce et… votre chaleur est si…

Il ne termina pas. Pourquoi avait-il tant de difficulté? Pourquoi soudainement est-ce qu’il n’arrivait plus à parler intelligemment? Il avait l’air d’un gros idiot maladroit… Qu’en penserait Elda…?